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<h2 class="calibre1">Chapitre 18</h2>
<p class="calibre2"><i class="calibre3">Ce chapitre est dédié à la librairie multilingue Sophia Books, de Vancouver,<br class="calibre4"/>un magasin divers et exaltant rempli de ce qu’il y a de meilleur dans les<br class="calibre4"/>cultures populaires étranges et fascinantes de nombreux pays. Sophia se<br class="calibre4"/>trouvait juste au coin de mon hôtel quand je suis venu à Vancouver donner<br class="calibre4"/>une conférence à l’Université Simon Fraser, et les gens de Sophia m’ont<br class="calibre4"/>envoyé un mail en avance pour me demander de passer et de signer leur<br class="calibre4"/>stock quand j’étais dans le quartier. Quand je suis arrivé, j’ai toruvé<br class="calibre4"/>un caverne d’Ali Baba d’oeuvres encore jamais vues dans un éventail de<br class="calibre4"/>langues à vous donner le vertige, de la bande dessinée aux traités académiques<br class="calibre4"/>épais, le tout présidé pour une équipe joyeuse (presque farceuse) qui<br class="calibre4"/>aimait son travail de façon tellement palpable que ça contaminait chaque<br class="calibre4"/>client qui passait le seuil.<br class="calibre4"/>Sophia Books: 450 West Hastings St., Vancouver, BC Canada<br class="calibre4"/>V6B1L1 +1 604 684 0484</i></p>
<p class="calibre2">Des fois, ce que je préfère dans la vie, c’est mettre une cape et zones dans<br class="calibre4"/>un hôtel, en faisant semblant d’être un vampire invisible alors que tout le<br class="calibre4"/>monde me regarde avec des yeux ronds. C’est une histoire compliquée, mais pas<br class="calibre4"/>du tout aussi étrange qu’on pourrait croire. Le milieu du Jeu de Rôle Grandeur<br class="calibre4"/>Nature combine les meilleurs côtés de Donjon et Dragon avec ceux d’un club<br class="calibre4"/>d’improvisation et d’une convention de science-fiction. Je conçois que ça<br class="calibre4"/>puisse ne pas vous sembler aussi séduisant que ça m’était quand j’avais 14 ans.<br class="calibre4"/>Les meilleurs jeux sont ceux des camps scouts, hors de la ville : une centaine<br class="calibre4"/>d’adolescents, garçons et filles, qui se débattent dans les bouchons du vendredi<br class="calibre4"/>soir, en échangeant leurs histoires, en jouant à des jeux et en essayant de se<br class="calibre4"/>faire mousser pendant des heures. Puis ils débarquent pour se retrouver debout<br class="calibre4"/>dans l’herbe devant un groupe d’hommes et de femmes plus âgés en armures<br class="calibre4"/>artisanales redoutables, bosselées et rayées, comme les armures devaient être<br class="calibre4"/>jadis, et non comme on les voit dans les films, mais comme l’uniforme d’un<br class="calibre4"/>soldat après un mois dans la cambrousse.<br class="calibre4"/>Ces gens étaient nominalement payés pour organiser les jeux, mais on ne se<br class="calibre4"/>faisait recruter que si on était du genre à le faire gratuitement de toute<br class="calibre4"/>manière. Ils nous avaient déjà répartis en équipes en fonction de<br class="calibre4"/>questionnaires que nous avions remplis avant de partir, et nous avons reçus<br class="calibre4"/>nos assignements, comme quand on se fait appeler par un camps avant de jouer<br class="calibre4"/>au baseball. Alors, on recevait son briefing. C’était comme les briefings qu’on<br class="calibre4"/>donne aux espions dans les films : voici votre identité, voici votre mission,<br class="calibre4"/>voici les secrets que vous connaissez à propos de votre groupe. D’ici à ce<br class="calibre4"/>que ce soit fini, il était l’heure de dîner : les feux flamboyaient, la viande<br class="calibre4"/>cuisait en jutant, le tofu grillait sur des plaques (c’est le nord de la<br class="calibre4"/>Californie, on ne fait pas l’impasse sur l’option végétarienne), et des manières<br class="calibre4"/>de table que l’on ne pourrait décrire que par le terme de bestial. Les gamins<br class="calibre4"/>les plus motivés se sentiraient déjà glisser dans leur personnage. A mon premier<br class="calibre4"/>jeu, j’étais un sorcier. J’avais des paquets de graines qui représenaient mes<br class="calibre4"/>sortilèges — quand j’en jetais un, je criais le nom du sort que je lançais –<br class="calibre4"/>boule de feu, projectile magique, cone de lumière — et le joueur ou le « monstre »<br class="calibre4"/>sur lequel je l’envoyais tombait à la renverse si je le touchais. Ou pas –<br class="calibre4"/>parfois nous devions demander à un organisateur d’arbitrer, mais pour l’essentiel<br class="calibre4"/>nous étions assez bons pour rester fair play. Pas du genre à ergoter sur le<br class="calibre4"/>résultat des lancés de dés. A l’heure de se coucher, nous étions tous dans nos<br class="calibre4"/>personnages. A 14 ans, je n’étais pas entièrement sûr de comment un sorcier devait<br class="calibre4"/>parler, mais je pouvais m’inspirer de ce que j’avais vu dans des films et des romans.<br class="calibre4"/>Je parlais lentement, d’un ton mesuré, en gardant sur mon visage des expressions<br class="calibre4"/>suffisamment mystiques, et en pensant à du mystique. La mission était complexe,<br class="calibre4"/>il s’agissait de retrouver une relique sacrée volée par un ogre déterminé à<br class="calibre4"/>soumettre le peuple de la contrée à ses quatre volontés. Ca n’était pas<br class="calibre4"/>vraiment le plus important. Le coeur du problème, c’est que j’avais une mission<br class="calibre4"/>personnel, capturer un certain type de diablottin pour le servir d’animal magique<br class="calibre4"/>de compagnie, et que j’avais un ennemi secret, un autre joueur de mon équipe qui<br class="calibre4"/>avait tué ma famille quand j’étais enfant, un joueur qui ignorais que j’étais<br class="calibre4"/>revenu, déterminé à me venger. Quelque part, évidemment, il devait y avoir un<br class="calibre4"/>autre joueur entretenant des griefs semblables à mon encontre, de sorte que<br class="calibre4"/>même dans les moments de camaraderie, je gardais l’oeil ouvert pour un poignard<br class="calibre4"/>dans mon dos ou du poison dans la nourriture. Pendant les deux journées suivantes,<br class="calibre4"/>nous avons joué et déroulé l’intrigue. Certains moments du week-end se jouaient<br class="calibre4"/>comme cache-cache, d’autres ressemblaient plutôt à des excercices de survie en<br class="calibre4"/>milieu sauvage, d’autres encore tenaient du puzzle et du mot croisé. Les<br class="calibre4"/>organisateurs avaient fait un un travail magnifique. Et on se liait avec<br class="calibre4"/>les autres joueurs en accomplissant la quête. Darryl a été la cible de mon<br class="calibre4"/>premier meurtre, et j’y ai mis tout mon coeur, même si on était copains.<br class="calibre4"/>Brave type. Dommage que j’aie été forcé de le tuer.<br class="calibre4"/>Je lui ai balancé une boule de feu pendant qu’il cherchait un trésor après que<br class="calibre4"/>nous avons exterminé une bande d’Orcs, en jouant à papier-caillou-ciseaux avec<br class="calibre4"/>chacun pour déterminer qui triompherait à l’issu du combat. C’est bien plus<br class="calibre4"/>excitant que ce que l’on pourrait croire. Et c’était comme un camp d’été pour<br class="calibre4"/>les mordus de fiction. Nous parlions jusqu’à tard dans les tentes, en regardant<br class="calibre4"/>les étoiles, nous sautions dans la rivière quand nous avions chaud, et nous<br class="calibre4"/>baffions les moustiques. Nous devenions les meilleurs amis du monde, ou des<br class="calibre4"/>ennemis jurés.<br class="calibre4"/>Je ne sais pas pourquoi les parents de Charles l’on envoyé à ce Grandeur Nature.<br class="calibre4"/>Il n’était pas du genre à vraiment s’amuser à ça. Il était plus du genre à<br class="calibre4"/>arracher les ailes des mouches. Oh, peut-être pas à ce point. Mais il n’était<br class="calibre4"/>juste pas dans son élément, à courir en costume dans les bois. Il passait tout<br class="calibre4"/>son temps à faire la tête, en se moquant de tout et tous, essayant de nous<br class="calibre4"/>convaincre que nous ne nous amusions pas du tout. Vous avez certainement croisé<br class="calibre4"/>cette catégorie de personne, le genre à mettre un point d’honneur à ce que tout<br class="calibre4"/>le monde passe un moment abominable.<br class="calibre4"/>L’autre problème, avec Charles, c’est qu’il était imperméable au concept de<br class="calibre4"/>simuler un combat. Quand on commence à courir dans les bois et à jouer à des<br class="calibre4"/>jeux de guerre élaborés, on se retrouve facilement avec tellement d’adréaline<br class="calibre4"/>dans le sang qu’on est prêt à arracher la gorge à quelqu’un. Ce n’est pas l’état<br class="calibre4"/>d’esprit correct lorsque l’on a en main un simulâcre d’épée, de massue, de lance<br class="calibre4"/>ou de quelqu’autre ustensile. C’est pourquoi personne n’est jamais autorisé à<br class="calibre4"/>frapper qui ce que soit, sous aucune circonstance, pendant ces jeux. A la place,<br class="calibre4"/>quand on se rapproche assez de quelqu’un pour combattre, on joue quelques tours<br class="calibre4"/>de feuille-caillou-ciseaux, avec des modificateurs pour tenir compte de l’expérience,<br class="calibre4"/>de l’armement et des conditions. Les organisateurs arbitrent les contentieux.<br class="calibre4"/>C’est tout à fait civilisé, et un peu étrange. On traque quelqu’un dans les bois,<br class="calibre4"/>on le rattrape, on découvre ses dents, et on s’assied pour jouer une petite<br class="calibre4"/>partie de roshambo. Mais ça marche — et tout reste sans danger et amusant.<br class="calibre4"/>Charles ne comprenait rien à ça. Je pense qu’il était parfaitement capable<br class="calibre4"/>de comprendre que la règle interdisait le contact physique, mais il était<br class="calibre4"/>simultanément capable de décider que cette règle n’avait pas d’importance,<br class="calibre4"/>et qu’il n’en tiendrait pas compte. Les arbitres l’on remis à l’ordre un bon<br class="calibre4"/>nombre de fois pendant le week-end, et il promettait toujours de s’en tenir aux<br class="calibre4"/>règles, et il y revenait à chaque fois. C’était déjà l’un des gamins les plus<br class="calibre4"/>grands, et il adorait vous plaquer au sol « accidentellement » à la fin d’une<br class="calibre4"/>course-poursuite. Pas très marrant quand on se retrouve projeté sur un sol<br class="calibre4"/>rocailleux dans la forêt.<br class="calibre4"/>Je venais de pourfendre Darrl dans une petite clairière où il cherchait un<br class="calibre4"/>trésor, et nous rigolions de extrème sournoiserie. Il allait faire le monstre –<br class="calibre4"/>les joueurs tués pouvaient aller jour des monstres, de sorte que plus le jeu<br class="calibre4"/>durait, plus il y avait de monstres à vous poursuivre ; que tout le monde<br class="calibre4"/>pouvait continuer à jouer ; et que les batailles devenaient de plus en plus<br class="calibre4"/>épiques.<br class="calibre4"/>C’est alors que Charles est sorti du bois derrière moi et m’a jeté au sol, en<br class="calibre4"/>me projetant tellement fort que j’ai perdu le souffle pendant un moment.<br class="calibre4"/>- Je t’ai eu !, a-t-il hurlé.<br class="calibre4"/>Je ne le connaissais que de loin avant ça, et je n’avais jamais eu beaucoup<br class="calibre4"/>d’estime pour lui, mais là j’étais prêt à tuer. Je me suis relevé lentement et<br class="calibre4"/>je l’ai regardé, avec sa poitrine qui se gonflait et son sourire extatique.<br class="calibre4"/>- Tu es trop mort, a-t-il dit. Je t’ai totalement eu.<br class="calibre4"/>J’ai souri, et quelque chose dans mon visage m’a semblé anormal et douloureux.<br class="calibre4"/>J’ai touché ma lèvre supérieure. Elle était couverte de sang. Mon nez saignait<br class="calibre4"/>et ma lèvre était fendue, coupée sur une racine sur laquelle mon visage s’était<br class="calibre4"/>écrasé quand il m’avait plaqué au sol.<br class="calibre4"/>J’ai essuyé mon sang sur la jambe de mon pantalon et j’ai souri. J’ai fait comme<br class="calibre4"/>si tout ça était très drôle. J’ai ri un petit peu. Je me suis rapproché. Charles<br class="calibre4"/>ne s’y est pas trompé. Déjà, il reculait, en essayant de disparaître dans les bois.<br class="calibre4"/>Darryl s’est déplacé sur son flanc. J’ai couvert l’autre côté. D’un seul coup, il<br class="calibre4"/>s’est tourné et s’est mis à courir. Le pied de Darryl a enveloppé sa cheville et<br class="calibre4"/>l’a envoyé rouler. Nous lui sommes sautés dessus, juste au moment où le sifflet<br class="calibre4"/>d’un arbitre a retenti. L’organisateur n’avait pas vu Charles me faire son sale<br class="calibre4"/>coup, mais il l’avait assez vu jouer pendant le week-end.<br class="calibre4"/>Il a renvoyé Charles à l’entrée du camp et l’a expulsé du jeu. Charles s’est<br class="calibre4"/>plaint avec emphase, mais à notre satisfaction, l’arbitre n’a rien voulu savoir.<br class="calibre4"/>Une fois Charles parti, il nous a fait la lesson, à nous aussi, en nous disant<br class="calibre4"/>que nos repésailles n’étaient pas plus justifiées que la provocation de Charles.<br class="calibre4"/>Ce n’était pas grave. Cette nuit-là, après la fin du jeu, nous avons tous pris<br class="calibre4"/>des douches chaudes dans les dortoirs des scouts. Darryl et moi avons subtilisé<br class="calibre4"/>les vêtements et la serviette de Charles. Nous en avons fait un noeud et les avons<br class="calibre4"/>jetés dans un urinoir. Nombreux ont été les garçon trop heureux de contribuer à<br class="calibre4"/>les tremper. Charles avait été très enthousiaste avec ses plaquages. Je regrette<br class="calibre4"/>de ne pas l’avoir contemplé lorsqu’il est sorti de sa douche et a découvert ses<br class="calibre4"/>vêtements. C’est une décision douloureuse : est-ce qu’on court tout nu à travers<br class="calibre4"/>le camp, ou est-ce qu’on défait le noeud serré et imbibé d’urine dans les vêtements<br class="calibre4"/>pour s’en vêtir ?<br class="calibre4"/>Il a choisi la nudité. J’en aurais probablement fait autant. Nous nous sommes<br class="calibre4"/>alignés sur le chemin menant des douches à la cabine où les bagages étaient<br class="calibre4"/>entreposés et l’avons applaudi. J’étais à la tête de la ligne, et le premier à<br class="calibre4"/>applaudir.</p>
<p class="calibre2">Les week-ends de camp scout n’arrivaient que trois ou quatre fois par an, ce qui<br class="calibre4"/>nous causait, à Darryl et moi — et à beaucoup d’autres rôlistes — une sérieuse<br class="calibre4"/>pénurie de GN dans nos vies. Heureusement, il y avait les jeux de Jour Maudit dans<br class="calibre4"/>les hôtels de la ville. Jour Maudit est un autre GN, avec des clans de vampires<br class="calibre4"/>rivaux et des chasseurs de vampires, et qui a ses propres règles tordues. Les<br class="calibre4"/>joueurs utilisent des cartes pour résoudre l’issue des combats, de sorte que<br class="calibre4"/>chaque échauffourée comprend une manche d’un jeu de stratégie avec des cartes.<br class="calibre4"/>Les vampires peuvent devenir invisibles en coisant leurs bras sur leur poitrine,<br class="calibre4"/>et tous les autres joueurs doivent faire semblant de ne pas les voir, continuer<br class="calibre4"/>leurs conversations sur leurs plans, et ainsi de suite. La vraie marque d’un bon<br class="calibre4"/>joueur, c’est si il est assez honnête pour continuer à étaler ses secrets devant<br class="calibre4"/>un ennemi « invisible » sans tenir compte qu’il est dans la pièce.<br class="calibre4"/>Il y avait quelques parties de Jour Maudit chaque mois. Les organisateurs des jeux<br class="calibre4"/>étaient en bons termes avec les hôtels de la ville et ils faisaient savoir qu’il<br class="calibre4"/>prendraient une dizaine de chambres non réservées le vendredi soir et les<br class="calibre4"/>rempliraient de joueurs qui courreraient à travers l’hôtel, joueraient discrètement<br class="calibre4"/>à Jour Maudit dans les couloirs, autour de la piscine, et ainsi de suite, mangeraient<br class="calibre4"/>au restaurant de l’hôtel et payeraient pour le Wifi.<br class="calibre4"/>Ils organisaient la réservation le vendredi après-midi, nous envoyaient des messages,<br class="calibre4"/>et nous allions directement de l’école à l’hôtel où ça se passait, en emportant nos<br class="calibre4"/>sacs à dos, dormant six ou huit dans une chambre tout le week-end, nous<br class="calibre4"/>nourissant de sucrerieset jouant jusqu’à trois heures du matin. C’était des jeux<br class="calibre4"/>sains et sans dangers que nous parents approuvaient. Les organisateurs venaient<br class="calibre4"/>d’une association de promotion de la lecture bien connue qui faisait tourner des<br class="calibre4"/>atelier d’écriture pour la jeunesse, des ateliers de théâtre, et ainsi de suite.<br class="calibre4"/>Ils avaient organisé ces jeux pendant dix ans sans incident. Tout était strictement<br class="calibre4"/>sans alcool et sans drogue, pour éviter eux organisateurs de se faire arrêter sous<br class="calibre4"/>prétexte de détournement de mineurs. Nous attirions entre une dizaine et une<br class="calibre4"/>centaine de joueurs, selon le week-end, et nous le prix de quelques films, on<br class="calibre4"/>pouvait avoir deux journées et demie d’amusement non-stop.<br class="calibre4"/>Un jour, toutefois, ils ont échoué dans un bloc de chambres au Monaco, un hôtel<br class="calibre4"/>dans le Tenderloin qui s’adressait à des vieux touristes à sensibilité artistique,<br class="calibre4"/>le genre d’endroit où chaque chambre a son aquarium à poissons rouges, où le hall<br class="calibre4"/>d’entrée est rempli de beaux vieillards en vêtements chics, qui friment avec les<br class="calibre4"/>résultats de leur chirurgie esthétique. Normalement, le Tout-Venant — notre<br class="calibre4"/>terme pour ceux qui ne jouent pas — nous ignorait tout simplement, nous considérant<br class="calibre4"/>comme des gamins désoeuvrés. Mais ce week-end, il se trouve que le<br class="calibre4"/>rédacteur d’un magazine de voyage italien résidait là, et il s’est intéressé à<br class="calibre4"/>l’action. Il m’a coincé pendant que je rôdais dans le hall dans l’espoir de<br class="calibre4"/>repérer le maître d’un clan ennemi, de me faufiler derrière lui et de boire<br class="calibre4"/>son sang.<br class="calibre4"/>Je me tenais contre un mur, les bras croisés sur ma poitrine, invisible, quand<br class="calibre4"/>il est venu à moi et m’a demandé, avec un fort accent, ce que mes amis et moi<br class="calibre4"/>fabriquions dans l’hôtel ce week-end. J’ai essayé de le faire déguerpir, mais<br class="calibre4"/>il n’y avait pas moyen de l’envoyer bouler. Alors je me suis dit que je pourrais<br class="calibre4"/>aussi bien inventer n’importe quoi pour qu’il parte. Je n’aurais pas imaginé qu’il<br class="calibre4"/>irait le publier. Je n’aurais vraiment pas imaginé que la presse américaine le<br class="calibre4"/>reprendrait.<br class="calibre4"/>- Nous sommes ici parce que notre prince est mort, et nous sommes venus à la<br class="calibre4"/>recherche d’un nouveau maître.<br class="calibre4"/>- Un prince ?<br class="calibre4"/>- Oui, j’ai dit en m’échauffant. Nous sommes du Vieux Peuple. Nous sommes venus<br class="calibre4"/>en Amérique au 16ème siècle et nous avons notre propre famille royale qui vit<br class="calibre4"/>dans les étendues sauvages de la Pensylvanie depuis. Nous vivons une vie simple<br class="calibre4"/>dans les bois. Nous n’utilisons pas la technologie moderne. Mais le prince était<br class="calibre4"/>le dernier de sa lignée et il est mort la semaine dernière. Une terrible maladie<br class="calibre4"/>dégénérative l’a emporté. Les jeunes hommes de mon clan sont partis à la<br class="calibre4"/>recherche des descendants de son grand-oncle, qui est parti rejoindre les modernes<br class="calibre4"/>gens du temps de mon grand-père. Il est dit que sa descendance s’est multipliée,<br class="calibre4"/>et nous allons retrouver les derniers de sa lignée et les ramener à leur<br class="calibre4"/>domaine légitime.</p>
<p class="calibre2">je lisais beaucoup de romans de Fantasy. Ce genre d’histoires me venait facilement.<br class="calibre4"/>- Nous avons retrouvé une femme qui connaissait ces descendants. Elle nous a dit<br class="calibre4"/>que l’un d’entre eux résidait dans cet hôtel, et nous sommes venus le recontrer.<br class="calibre4"/>Mais nous avons été suivis par un clan rival qui voudrait nous empêcher de<br class="calibre4"/>rapatrier notre prince, pour nous affaiblir et nous dominer plus facilement.<br class="calibre4"/>C’est pourquoi il est vital que nous restions discrets. Nous ne parlons pas aux<br class="calibre4"/>nouvelles gens si nous pouvons l’éviter. Cette conversation avec vous me gêne<br class="calibre4"/>déjà considérablement.</p>
<p class="calibre2">Il m’a jeté un regard rusé. J’avais décroisé mes bras, ce qui me rendait « visible »<br class="calibre4"/>aux vampires rivaux, dont l’une s’était lentement glissée vers nous. Au dernier moment,<br class="calibre4"/>je me suis retournée et l’ai vue, les bras écarté, qui sifflait vers nous, dans le<br class="calibre4"/>meilleur style vampire. J’ai écarté mes bras et j’ai sifflé moi aussi, puis je<br class="calibre4"/>suis parti comme une flèche à travers le hall, en sautant un sofa et esquivant une<br class="calibre4"/>plante en pot, avec elle à mes trousses. J’avais reconnu une retraite par un escalier<br class="calibre4"/>qui descendait vers la salle de gymnastique du sous-sol; je m’y suis engouffré, et<br class="calibre4"/>elle m’a perdu.<br class="calibre4"/>Je n’ai plus revu l’homme du week-end, mais j’ai raconté l’histoire à quelques-uns<br class="calibre4"/>de mes camarades de GN, qui ont brodé sur le thème et ont trouvé plusieurs occasions<br class="calibre4"/>de le répéter pendant le cours du week-end.<br class="calibre4"/>Le magazine italien avait un journaliste qui avait fait son mémoire de maîtrise sur<br class="calibre4"/>les communautés amish technophobes dans la Pensylvani rurale, et elle a trouvé tout<br class="calibre4"/>ceci extrêmement intéressant. Sur la base des notes et des interviews enregistrées<br class="calibre4"/>que son patron avait rapporté de San Francisco, elle a écrit un article fascinant<br class="calibre4"/>et émouvant sur ces jeunes membres d’une secte bizarre qui écumaient l’Amérique à<br class="calibre4"/>la recherche de leur « prince ». Vraiment, les gens publient n’importe quoi, de<br class="calibre4"/>nos jours.<br class="calibre4"/>Mais le problème, c’est que ce genre d’histoires se font reprendre et republier.<br class="calibre4"/>D’abord il y a eu les bloggers italiens, puis quelques bloggers américains. Des<br class="calibre4"/>gens ont commencé à signaler avoir « apperçu » le Vieux Peuple à travers tout<br class="calibre4"/>le pays, encore que je n’aie jamais su si c’étaient de pures inventions ou si<br class="calibre4"/>d’autres personnes jouaient au même jeu.<br class="calibre4"/>Tout ça a remonté la chaîne alimentaire des médias jusqu’au New York Times, qui,<br class="calibre4"/>malheureusement, avait une appétence malsaine pour la vérification des faits.<br class="calibre4"/>Le reporter qu’ils ont assigné à l’affaire a remonté la piste jusqu’à l’hôtel<br class="calibre4"/>Monaco, qui l’a mis en rapport avec les organisateurs du GN, qui ont expliqué<br class="calibre4"/>toute l’histoire en se tordant de rire.<br class="calibre4"/>A partir de ce moment-là, le GN a perdu beaucoup de son lustre. Nous sommes<br class="calibre4"/>devenus les pires mythomanes de la nation, des menteurs pathologies pathétiques.<br class="calibre4"/>La presse que nous avions par inadvertance incitée à couvrir l’histoire du Vieux<br class="calibre4"/>Peuple essayaient maintenant de se refaire une virginité en ressassant à quel<br class="calibre4"/>point les rôlistes étaient incroyablement dérangés, et c’est alors que Charles<br class="calibre4"/>a fait savoir à tout le monde que Darryl et moi étions les pires drogués de GN<br class="calibre4"/>de toute la ville. Ca n’a pas été une saison agréable. Il y en avait dans la<br class="calibre4"/>bande qui s’en fichaient, mais pas nous. Les moqueries étaient sans pitié.<br class="calibre4"/>Charles dirigeait le choeur. Je trouvais des canines en plasique dans mon<br class="calibre4"/>sac, et les ados qui passaient dans le hall faisaient « bouaaahhh bouah »<br class="calibre4"/>comme les vampires dans les BDs, ou parlaient avec de faux accents transylvaniens<br class="calibre4"/>quand j’étais dans le coin.<br class="calibre4"/>Nous sommes passés à ARG peu après. C’était encore plus amusant d’une certaine<br class="calibre4"/>façon, et bien moins bizarre. Mais de temps en temps, ma cape et les week-ends<br class="calibre4"/>dans les hôtels me manquaient.</p>
<p class="calibre2">Le contraire de l’esprit d’escalier, c’est cette façon dont les moments gênants<br class="calibre4"/>de la vie reviennent nous hanter même longtemps après. Je me souvenais de chacune<br class="calibre4"/>des stupidités que j’avais jamais faite ou dite, je pouvais les invoquer avec<br class="calibre4"/>une parfaite clarté. A chaque fois que j’avais le bourdon, je me rappelais<br class="calibre4"/>naturellement les autres fois où je m’étais senti ainsi, un hit-parade<br class="calibre4"/>d’humiliations qui défilaient l’une après l’autre dans mon esprit. Comme j’essayais<br class="calibre4"/>de me concentrer sur Masha et sur ma fin tragique imminente, l’incident du Vieux<br class="calibre4"/>Peuple est revenu me visiter. J’avais eu un sentiment analogue alors, quand les<br class="calibre4"/>organismes de presse avaient repris l’histoire les uns après les autres, et que<br class="calibre4"/>la probabilité que quelqu’un se rende compte que c’était nous qui avions raconté<br class="calibre4"/>ces salades à ce stupide rédacteur italien en jeans de designers aux coutures<br class="calibre4"/>élaborées, chemise sans col et lunettes en métal surdimensionnées. Il y a une<br class="calibre4"/>alternative à ruminer ses erreurs. On peut en tirer les leçons.<br class="calibre4"/>C’est une bonne théorie, en tout cas. Peut-être que la raison pour laquelle le<br class="calibre4"/>subconscient conjure tout ces fantômes misérables, c’est qu’ils doivent<br class="calibre4"/>faire leur deuil avant de pouvoir reposer en paix dans l’au-delà de l’humiliation.<br class="calibre4"/>Mon subconscient revenait tout le temps avec des fantômes dan l’espoir que je<br class="calibre4"/>fasse quelque chose pour les faire reposer en paix.<br class="calibre4"/>Sur tout le trajet du retour, j’ai tourné sur ce souvenir et sur ce que je ferais<br class="calibre4"/>de « Masha » au cas où elle essayait de me rouler. Il me fallait une issue de<br class="calibre4"/>secours.<br class="calibre4"/>Et le temps que j’arrive à la maison — pour me noyer dans les étreintes<br class="calibre4"/>mélancoliques de mes parents — j’avais trouvé.</p>
<p class="calibre2">Le truc consistait à minuter l’événement pour que ce soit trop rapide pour que<br class="calibre4"/>le DSI s’y prépare, mais qu’il y ait assez de préavis pour que le Xnet y soit<br class="calibre4"/>représenté en force. Il devait y avoir trop de monde pour que<br class="calibre4"/>l’on puisse tous nous arrêter, mais que ça s’organise à un endroit où la presse nous<br class="calibre4"/>verrait, nous et les adultes, de sorte que le DSI n’irait pas simplement nous<br class="calibre4"/>gazer comme l’autre fois. Il fallait trouver quelque chose qui soit aussi<br class="calibre4"/>spectaculaire pour les médias que la lévitation du Pentagone. Il fallait<br class="calibre4"/>organiser quelque chose autour duquel tout le monde pourrait se rallier,<br class="calibre4"/>comme les 3000 étudiants de Berkeley qui refusaient de laisser l’un des<br class="calibre4"/>leurs emmené dans un fourgon de police. Il fallait que la presse soit présente,<br class="calibre4"/>prête à rapporter ce que ferait la police, comme à Chicago en 1968. Ca serait<br class="calibre4"/>délicat.<br class="calibre4"/>Le lendemain, j’ai fait le mur une heure avant la fin des cours, en utilisant<br class="calibre4"/>les techniques habituelles pour m’évader, sans me soucier si ça déclancherait<br class="calibre4"/>un nouveau système de vérification du DSI qui enverrait une note à mes parents.<br class="calibre4"/>D’une façon ou d’une autre, après la journée du lendemain, les ennuis que je<br class="calibre4"/>pourrais avoir à l’école seraient bien le dernier soucis de mes parents.<br class="calibre4"/>J’ai retrouvé Ange chez elle. Elle s’était extraite du lycée encore plus tôt,<br class="calibre4"/>mais elle avait simplement donné tout un spectacle de ses crampes et avait<br class="calibre4"/>fait semblant d’être sur le point de tourner de l’oeil, et on l’avait renvoyé<br class="calibre4"/>chez elle.<br class="calibre4"/>Nous avons commencé à annoncer la nouvelle sur Xnet. Nous avons l’avons envoyée<br class="calibre4"/>par mail à quelques amis de confiance, et par chat à nos listes de correspondants.<br class="calibre4"/>Nous avons écumé les pontons et les villes de Pillage Mécanique que passé le mot<br class="calibre4"/>à nos partenaires de jeu. Donner juste assez d’information pour qu’ils viennent<br class="calibre4"/>sans trahir notre plan au DSI était délicat, mais il m’a semblé avoir trouvé<br class="calibre4"/>un bon équilibre.</p>
<p class="calibre2">> DEMAIN VAMPMOB<br class="calibre4"/>> Si vous êtes goth, mettez vous habits du dimanche.<br class="calibre4"/>> Si vous n’êtes pas goth, trouvez un goth et<br class="calibre4"/>> empruntez des habits. Pensez en vampire.<br class="calibre4"/>> Le jeu commence à 8 heures précises. PRÉCISES.<br class="calibre4"/>> Venez et préparez-vous à vous répartir en équipes.<br class="calibre4"/>> Le jeu dure 30 minutes, comme ça vous aurez tout le<br class="calibre4"/>> temps d’aller en cours après.<br class="calibre4"/>> Le lieu sera révélé demain. Envoyez votre clef<br class="calibre4"/>> publique à [email protected]<br class="calibre4"/>> et regardez vos messages à 7 heures pour les nouvelles.<br class="calibre4"/>> Si c’est trop tôt pour vous, restez debout toute la<br class="calibre4"/>> nuit. C’est ce que nous allons faire de notre côté.<br class="calibre4"/>> Je vous garantis que ce sera ce que vous ferez de plus<br class="calibre4"/>> marrant de toute l’année. Croyez-moi.<br class="calibre4"/>> M1k3y</p>
<p class="calibre2">Ensuite j’ai envoyé un court message à Masha :<br class="calibre4"/>> Demain.<br class="calibre4"/>> M1k3y.</p>
<p class="calibre2">Une minute plus tard, elle a renvoyé:<br class="calibre4"/>> Je m’en doutais. VampMob, hein ? Tu travailles vite.<br class="calibre4"/>> Tu porteras un chapeau rouge. Voyage léger.</p>
<p class="calibre2">Qu’est-ce qu’on met dans ses bagages quand on part en cavale ? J’avais transporté<br class="calibre4"/>assez de sacs pendant des camps scouts pour savoir que chaque gramme que l’on<br class="calibre4"/>s’ajoute scie les épaules avec toute la force écrasante de la gravité à chaque<br class="calibre4"/>pas que l’on fait — ce n’est pas seulement un gramme, c’est un gramme que l’on<br class="calibre4"/>porte sur des millions de pas. C’est une tonne.<br class="calibre4"/>- Exactement, a dit Ange. C’est malin. Et on ne transporte jamais plus de trois<br class="calibre4"/>jours de vêtements, non plus. On peut toujours faire la lessive dans un évier.<br class="calibre4"/>Mais vaut une tache sur un t-shirt qu’une valise trop lourde ou trop grosse<br class="calibre4"/>pour tenir sous un siège d’avion.</p>
<p class="calibre2">Elle avait sorti un sac de messager en nylon ballistique qui barrait sa poitrine,<br class="calibre4"/>passant entre ses seins — ce qui me faisait transpirer un petit peu — et<br class="calibre4"/>reposait en diagonale dans son dos. Il y avait plein de place dedans, et elle<br class="calibre4"/>l’avait posé sur le lit. En ce moment, elle empilait les vêtements à côté.<br class="calibre4"/>- Je suppose que trois t-shirts, une paire de pantalons, une paire de shorts,<br class="calibre4"/>trois jeux de sous-vêtements, trois paires de chaussettes et un sweater suffiront.</p>
<p class="calibre2">Elle a vidé son sac de gym pour en sortir la trousse de toilette.<br class="calibre4"/>- Il faudra que je me rappelle d’y mettre ma brosse à dents demain matin avant<br class="calibre4"/>d’aller au Centre Civique.</p>
<p class="calibre2">C’était impressionant de la voir faire ses bagages. Elle était sans pitié. C’était<br class="calibre4"/>affolant, aussi — ça me faisait réaliser que le lendemain, je partais. Peut-être<br class="calibre4"/>pour longtemps. Peut-être pour toujours.</p>
<p class="calibre2">- Est-ce que j’emporte ma Xbox ? a-t-elle demandé. J’ai des tonnes de trucs sur<br class="calibre4"/>le disque dur, des notes, des dessins et des e-mails. Je ne voudrais pas que ça<br class="calibre4"/>tombe dans de mauvaises mains.<br class="calibre4"/>- Tout est encrypté, ai-je répondu. C’est standard avec ParanoidLinux. Mais à<br class="calibre4"/>part ça, laisse ta Xbox, il y en aura autant qu’on voudra à Los Angeles. Crée-toi<br class="calibre4"/>simplement un compte au Parti Pirate et envoie-toi une image du disque dur. Je<br class="calibre4"/>vais en faire autant quand je rentrerai chez moi.</p>
<p class="calibre2">Elle a ainsi fait, et a lancé l’envoi du mail. Ca prendrait quelques heures pour<br class="calibre4"/>que toutes ces données se glissent à travers le réseau WiFi des voisins et vole<br class="calibre4"/>vers la Suède.<br class="calibre4"/>Elle a alors fermé le rabat de son sac et a tiré les sangles de compression. C’était<br class="calibre4"/>quelque chose de la taille d’un ballon de football qu’elle avait maintenant sur le<br class="calibre4"/>dos, que j’ai contemplé avec admiration. Elle pouvait se promener dans la rue<br class="calibre4"/>avec ça sur l’épaule et personne n’y regarderait à deux fois — elle avait l’air<br class="calibre4"/>en route pour le lycée.<br class="calibre4"/>- Une dernière chose, a-t-elle fait, et elle s’est penchée vers la table de nuit<br class="calibre4"/>pour en prendre les préservatifs. Elle en a sorti une bande de la boite, a ouvert<br class="calibre4"/>le sac et les y fourrés, puis m’a donné une claque sur les fesses.<br class="calibre4"/>- Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?<br class="calibre4"/>- Maintenant, on va chez tes parents et on prépare tes affaires. Il serait temps<br class="calibre4"/>que je rencontre tes parents, non ?</p>
<p class="calibre2">Elle a abandonné son sac un milieu des piles de vêtements et d’effets divers qui<br class="calibre4"/>jonchaient le sol. Elle était prête à tourner le dos à tout ça et partir simplement<br class="calibre4"/>pour reser avec moi. Juste pour soutenir notre cause. Ca m’a donné l’impression<br class="calibre4"/>d’être courageux moi aussi.</p>
<p class="calibre2">Ma mère était déjà à la maison quand je suis arrivé. Elle avait son ordinateur<br class="calibre4"/>portable ouvert sur la table de la cuisine et répondait à des e-mails tout en<br class="calibre4"/>parlant dans un casque téléphonique qui y était connecté, et elle aidait un<br class="calibre4"/>malheureux et sa famille, originaires du Yorkshire, à s’acclimater à la vie<br class="calibre4"/>en Louisianne.<br class="calibre4"/>J’ai passé le seuil et Ange m’a suivi, souriant comme une folle, mais serrant<br class="calibre4"/>ma main tellement fort que j’ai senti mes os frotter les uns contre les autres.<br class="calibre4"/>Je ne sais pas ce qui l’inquiétait tellement. Ce n’est pas comme si elle<br class="calibre4"/>allait passer énormément de temps avec mes parents après, même s’ils ne<br class="calibre4"/>s’entendaient pas.<br class="calibre4"/>Ma mère a raccroché quand nous sommes arrivés.<br class="calibre4"/>- Salut Marcus, a-t-elle dit en m’embrassant sur la jour. Et qui est-ce là ?<br class="calibre4"/>- Maman, je te présente Ange. Ange, voici ma mère Lillian.<br class="calibre4"/>Ma mère s’est levée et a étreint Ange.<br class="calibre4"/>- Je suis ravie de vous rencontrer, ma chère, a-t-elle dit en la détaillant de<br class="calibre4"/>la tête aux pieds.<br class="calibre4"/>Ange avait l’air assez acceptable, je pense. Elle s’habillait bien, avec<br class="calibre4"/>discrétion, et on voyait rien qu’à la regarder à quel point elle était<br class="calibre4"/>intelligente.<br class="calibre4"/>- C’est un plaisir de faire votre connaissance, Madame Yallow, a-t-elle répondu.<br class="calibre4"/>Elle avait l’air confiante et assurée. Elle s’en tirait bien mieux que quand<br class="calibre4"/>j’avais rencontré sa mère.<br class="calibre4"/>- Appelle-moi Lillian, a-t-elle répondu. Elle scrutait chaque détail. Est-ce que<br class="calibre4"/>vous rester à dîner ?<br class="calibre4"/>- Avec grand plaisir, a-t-elle fait.<br class="calibre4"/>- Est-ce que vous mangez de la viande ?<br class="calibre4"/>Ma mère s’était acclimatée à la vie en Californie.<br class="calibre4"/>- Je mange de tout ce qui ne me mange pas d’abord.<br class="calibre4"/>- C’est une droguée de sauces fortes, ai-je dit. On pourrait lui servir des vieux<br class="calibre4"/>pneus, elle les mangerait du moment qu’elle pourrait les faire nager dans le salsa.<br class="calibre4"/>Ange m’a frappé sur l’épaule.<br class="calibre4"/>- Je m’apprétais à commander du thai, a fait ma mère. Je vais ajouter quelques<br class="calibre4"/>plats à cinq chili à notre commande.<br class="calibre4"/>Ange a remercié poliment et ma mère s’est activée dans la cuisine, en sortant<br class="calibre4"/>des verres de jus de fruit et des plateaux de buiscuits, et en demandant à trois<br class="calibre4"/>reprises si nous voulions du thé. J’ai gloussé un peu.<br class="calibre4"/>- Merci Maman, ai-je dit. Nous allons monter quelques instants.<br class="calibre4"/>Ma mère a plissé les yeux une seconde, puis a souri à nouveau.<br class="calibre4"/>- Bien sûr, a-t-elle répondu. Ton père va rentrer dans une heure, nous passerons<br class="calibre4"/>à table à ce moment.<br class="calibre4"/>Toutes mes affaires de vampire étaient rangées dans le fond de mon placard. J’ai<br class="calibre4"/>laissé Ange les trier pendant que je choisissais des vêtements. Je n’allais jamais<br class="calibre4"/>qu’à Los Angeles. Il y avait des magasins là-bas, avec tous les vêtements dont<br class="calibre4"/>j’aurais besoin. Il ne me fallait rassembler que trois ou quatre de mes t-shirts<br class="calibre4"/>préférés et ma meilleure paire de jeans, un tube de déodorant, et un rouleau de<br class="calibre4"/>fil dentaire.<br class="calibre4"/>- L’argent !, me suis-je exclamé.<br class="calibre4"/>- Oui, a-t-elle répondu, je pensais vider mon compte en banque quand on passerait<br class="calibre4"/>devant un distributeur en rentrant. Je dois avoir dans les cinq cents dollars<br class="calibre4"/>d’économies.<br class="calibre4"/>- Tout ça ?<br class="calibre4"/>- A quoi veux-tu que je dépense mon argent ? Depuis l’introduction du Xnet, je<br class="calibre4"/>n’ai plus eu de frais de communication.<br class="calibre4"/>- Je pense que j’ai trois cents dollars, à peu près.<br class="calibre4"/>- Eh bien, tu vois. Récupère-les en allant au Centre Civique demain matin.<br class="calibre4"/>J’avais un gros sac à livres quand j’utilisais quand je devais transporter<br class="calibre4"/>beaucoup de matériel à travers la ville. C’était plus discret que mon sac de<br class="calibre4"/>camping. Ange passait toutes mes piles en revue sans merci et les réduisait à<br class="calibre4"/>ce qu’elle préférait.<br class="calibre4"/>Une fois tout empaqueté et rangé sous mon lit, nous nous sommes assis tous les deux.<br class="calibre4"/>- On va devoir se lever vraiment tôt demain matin, a-t-elle annoncé<br class="calibre4"/>- Oui, ça sera une rude journée.</p>
<p class="calibre2">Notre plan consistait à envoyer des messages contenant différents faux rendez-vous<br class="calibre4"/>pour la VampMob, qui enverraient les gens à des endroits discrets tous à cinq<br class="calibre4"/>minutes de marche du Centre Civique. Nous avions découpé des stencils pour peinture<br class="calibre4"/>en spray qui disaient simplement:<br class="calibre4"/>VAMPMOB CENTRE CIVIQUE –><br class="calibre4"/>que je peindrais à chacun des rendez-vous vers cinq heures du matin. Ca empêcherait<br class="calibre4"/>le DSI de boucler le Centre Civique avant que nous y soyions. Mon script pour envoyer<br class="calibre4"/>les mails était prêt à envoyer les messages à sept heures — je n’aurais qu’à laisser<br class="calibre4"/>ma Xbox tourner en partant.<br class="calibre4"/>- Combien de temps… Sa voix s’est éteinte.<br class="calibre4"/>- Je me demande aussi, ai-je répondu. Ca pourrait prendre un bout de temps, j’imagine.<br class="calibre4"/>Mais qui sait ? Avec l’article de Barbara qui va sortir…<br class="calibre4"/>J’avais aussi préparé un mail pour elle qui s’enverrait le lendemain matin.<br class="calibre4"/>- Peut-être que nous serons des héros dans deux semaines.<br class="calibre4"/>- Peut-être, a-t-elle fait en soupirant.<br class="calibre4"/>J’ai passé mon bras autour d’elle. Ses épaules se secouaient.<br class="calibre4"/>- Je suis terrorisé, ai-je fait. Je pense que ce serait cinglé de ne pas être terrifié.<br class="calibre4"/>- Oui, a-t-elle répondu.<br class="calibre4"/>- Oui.<br class="calibre4"/>Ma mère nous a appelé pour dîner. Mon père a serré la main à Ange. Il était mal rasé et<br class="calibre4"/>avait l’air inquiet, comme il était depuis que nous étions allés voir Barbara, mais<br class="calibre4"/>rencontrer Ange a faire ressortir un petit apperçu de sa personnalité. Elle l’a<br class="calibre4"/>embrassé sur la joue et il a insisté pour qu’elle l’appelle Drew.<br class="calibre4"/>Le dîner s’est en fait très bien passé. La glace s’est brisée quand Ange a sorti son<br class="calibre4"/>mélangeur de sauce forte et assaisonné son assiette, et nous a expliqué les Scoville.<br class="calibre4"/>Mon père a goûté une bouchée de sa nourriture et a titubé vers la cuisine en râlant<br class="calibre4"/>pour boire deux litres de lait. Croyez-le ou non, ma mère y a quand même goûté malgré<br class="calibre4"/>tout et a donné tous les signes qu’elle adorait ça. Ma mère était, semble-t-il, une<br class="calibre4"/>prodige insoupçonnée des épices, un talent né.<br class="calibre4"/>Avant de partir, Ange a insisté pour offrir son mélangeur à a mère.<br class="calibre4"/>- J’en ai un autre chez moi, a-t-elle dit.<br class="calibre4"/>Je l’avais vue l’emballer dans son sac à dos.<br class="calibre4"/>- Vous m’avez l’air du genre de femme qui devrait en avoir un.</p>
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